A la veille du week-end prolongé de la Pentecôte, je vous propose une note de lecture sur le Vauban d'Alain Monod, parue dans le numéro 91 de la revue Esprit critique publiée par la Fondation Jean-Jaurès (revue à télécharger en cliquant ici)
On connaissait le Vauban architecte et militaire. Maître Alain Monod nous livre un essai sur le Vauban politique, qui est aussi une belle méditation sur le sens des convictions et le service de l’Etat.
Vauban, patrimoine commun
« Vauban est partout. Dans notre mémoire collective et dans notre espace national », qu’il a physiquement dessiné « en bastionnant son pourtour ». Il a marqué l’Histoire de France et sa géographie. Ce Vauban-là, le Vauban des forts et fortifications, est connu. Mieux, le maréchal de Vauban et son œuvre militaire et architecturale constituent, dans note imaginaire collectif comme dans nos paysages, un authentique patrimoine commun. Dans son récent ouvrage, maître Alain Monod, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, historien de formation, ne fait pas l’impasse sur ce Vauban-« lieu de mémoire » : il nous propose, à ce sujet, des éléments de biographie denses et passionnants. Pourtant, son projet ne consiste pas tant à livrer une nouvelle biographie exhaustive, moins de deux ans après la réédition chez Fayard de l’« ouvrage de référence absolue » dû à Anne Blanchard, qu’à retracer les combats politiques de Vauban et à nous inviter, à partir de là, à une méditation sur l’éthique du service et le sens de l’Etat.
Vauban « hors les murs »
« Liberté d’opinion – même religieuse. Egalité devant l’impôt. Voilà les deux idées folles de Vauban », nous dit Pierre Joxe dans sa préface à l’ouvrage, en référence aux articles X et XIII de la Déclaration
des droits de l’homme et du citoyen. C’est bien ce personnage d’exception, « qui marche […] vers le siècle des Lumières et le temps de la Révolution » qu’Alain Monod met en lumière, en nous invitant ainsi à découvrir un « Vauban hors les murs ».
La tolérance, une idée neuve en Europe
Le premier combat ainsi retracé est la lutte pour la tolérance. Où l’on voit Vauban se dresser contre l’Edit de Fontainebleau par lequel Louis XIV révoque, en 1685, l’Edit de Nantes qui avait tant fait pour apaiser la France après les déchirements des guerres de religion. Vauban condense ses réflexions à ce sujet dans un Mémoire pour le retour des Huguenots, achevé en 1689 et courageusement adressé à un roi pourtant farouchement attaché à établir une unité absolue de foi et de religion en son royaume. Seul dans l’entourage du monarque à s’adresser ainsi à lui, il livre au souverain des vérités que personne d’autre n’ose lui dire.
La Dîme royale, CSG avant l’heure
Le second grand combat de Vauban, c’est la réforme fiscale. Durant sa longue vie (1633-1707), il n’a de cesse de parcourir la France, du nord au sud et d’est en ouest. C’est pourquoi, « nul ne connaît mieux que lui la réalité du royaume », un royaume en plein délabrement, lourdement pénalisé par un système fiscal hérité du Moyen Âge, où l’impôt n’est payé que par quelques-uns et où les fermiers généraux s’enrichissent sur le dos des assujettis. Vauban élabore, en lieu et place de ce système archaïque et injuste, un projet de Dixme royale. Cette imposition unique, « prise proportionnellement sur tout ce qui porte revenu », repose sur une assiette quasi-universelle. Sa mise en œuvre marquerait ainsi – proposition révolutionnaire s’il en est – l’abolition des privilèges. « Une bombe qui contient la nuit du 4 août avec un siècle d’avance », comme le dit Pierre Joxe.
Vauban, grand commis de l’Etat et réformateur pragmatique
Au fil des pages, se dégage ainsi le portrait toujours actuel d’un responsable d’Etat éminent. La vérité guidait les pas de cet homme libre et loyal, fidèle au roi mais fuyant sa cour et ses courtisans. Profondément attaché à la personne même de Louis XIV, Vauban l’est autant, et peut-être davantage encore, à l’Etat et au bien public, qui émerge alors en se distinguant progressivement de l’intérêt personnel du monarque et deviendra, dans la conception républicaine, l’intérêt général. Il est aussi un réformateur pragmatique qui, loin des idéologues de cour, connaît la réalité d’un pays qu’il parcourt sans relâche et les complexités et difficultés d’une France qu’il aime passionnément.
Homme de paix au temps de l’intolérance, modernisateur à l’heure des conservatismes, courageux et vrai parmi les courtisans et les ambitieux : comme le dit Fontenelle dans son éloge posthume à l’Académie des sciences, Vauban préférait « servir que plaire ».
Il se dit que le Vauban d’Alain Monod fut l’un des succès de librairie dans les allées du congrès de Reims. Les méchantes langues ajoutent que ce fut peut-être par effet de contraste. Les moins engagés s’en remettront au jugement de l’Histoire. Les optimistes concluront que tout espoir n’est pas perdu, puisque de belles et grandes figures savent encore nous inspirer.
Alain Monod, Vauban ou la mauvaise conscience du roi,
Riveneuve éditions, 2008, 240 pages, ISBN : 978-2-914214-45-2
'Note de lecture parue dans la Newsletter des livres de la Fondation Jean-Jaurès)
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