Bonjour,
Vous retrouverez ci-dessous une tribune que je publie ce jour dans Le Monde. Vous pouvez aussi lire cette tribune sur le site du Monde.
Léon Blum était-il "à l'image de la France" ?
Ces derniers jours, la politique nationale a pris une tournure franchement nauséabonde. L'indignation, récemment remise à l'honneur par Stéphane Hessel, est une première réponse aux attaques ad hominem rances et moisies qui ont visé DSK depuis que sa possible candidature fait paniquer une certaine droite.
Un bref détour par le passé peut être utile aussi. Certes, l'Histoire ne se répète jamais à l'identique ; l'on ne trouvera pas dans le passé de modèle à plaquer tel quel sur le présent ; il ne s'agit donc pas de comparer figures d'hier et personnalités d'aujourd'hui.
Pourtant, comment ne pas penser, ces jours-ci, à Léon Blum (1872-1950), dont on oublie souvent qu'il fut en son temps l'homme le plus détesté de France, à droite et à l'extrême droite, bien sûr, mais aussi, à des degrés et à des titres divers, à gauche. Tout au long de sa vie politique, il fut, plus que d'autres, couvert d'insultes, calomnié, traîné dans la boue, molesté et même physiquement attaqué.
Il faut dire qu'aux yeux de ses adversaires, il cumulait tous les défauts. C'était, d'abord, un intellectuel, un "grand bourgeois", membre du Conseil d'Etat, vivant, sur l'île Saint-Louis, dans une certaine aisance, bien introduit, menant à Paris une intense vie littéraire, théâtrale et culturelle. Cet homme qui se disait socialiste ne mangeait-il pas, de l'avis commun, dans de la vaisselle en or ?
Et puis, bien sûr, Léon Blum était juif - c'était là son crime le plus odieux pour bien des contemporains haineux et fanatisés. Car Blum était pour eux, ipso facto, l'agent du complot international, des banques, de la haute finance, en un mot, l'une des incarnations de l'anti-France. Il lui fut même reproché de ne pas être assez rural, ni assez authentiquement français : ne rentrait-il pas parfois malade de banquets de campagne, où il ne parvenait pas toujours à faire honneur aux plats ni à suivre le rythme des libations ? Ne préférait-il pas l'élection à Paris plutôt que l'ancrage en province ? Son raffinement intellectuel n'en faisait-il pas un bobo de l'époque, l'un de ces happy few plus enclins à la vie élégante qu'aptes à la vraie vie ?
Léon Blum fut aussi calomnié sur sa vie privée supposée. Son ouvrage sur le mariage développait des thèses audacieuses. Cet essai, et les moeurs qu'il était supposé révéler, lui valut bien des attaques, et un procès insidieux en immoralité.
Que retenir de tout cela ? Rien, ou presque, ne mérite plus notre attention. La bêtise et la haine, révélatrices d'une sombre époque, ne sont pas parvenues à ternir son image. Elles ne lui ont interdit ni la conquête ni l'exercice du pouvoir. L'Histoire retient de Léon Blum une personnalité cosmopolite, ouverte sur le monde, et profondément humaine : rien de ce qui est humain ne lui était étranger. Et surtout, nous retenons son action politique, guidée par le souci de l'unité des socialistes, et son oeuvre réformatrice.
Blum a modernisé notre pays. Surprise, un bourgeois a été en phase avec les aspirations populaires. Etonnamment, un homme aisé, sinon riche, a plus fait pour la cause des ouvriers que nombre de porte-parole autoproclamés de leur cause. Stupéfaction, un intellectuel nuancé a fait preuve d'intransigeance et d'un courage sans faille lorsque l'essentiel était en jeu.
De l'affaire Dreyfus aux congés payés en passant par le congrès de Tours, Léon Blum a été un homme d'idées et un homme d'action. Accords de Matignon renforçant le droit syndical et augmentant les salaires ; semaine des quarante heures - stigmatisées, déjà, comme un renoncement national ; allongement de la scolarité obligatoire ; création du CNRS ; nationalisation de la SNCF ; mise en place d'une vraie politique populaire pour le sport : telle est, en vrac, la liste des réformes concrètes mises en oeuvre sous l'égide de Léon Blum et des progrès obtenus par lui.
Et la liste pourrait, sans peine, être allongée encore. Défense des classes populaires, goût de la vérité, souci de la justice, amour de la culture, réforme du travail gouvernemental. Autant d'aspects d'une vie qui, aujourd'hui encore, peuvent inspirer notre action.
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(édition du 18 février)