Stupéfiante lecture que les "memos" récemment déclassifiés par les Etats-Unis au sujet des méthodes d'interrogatoire pratiquées à Guantanamo (Memos à télécharger en version anglaise sur le site de la Fondation Jean-Jaurès; des extraits ont été publiés par le journal Le Monde dans son édition du week-end).
On y lit, d'abord, la confirmation de ce que l'on savait déjà: les Etats-Unis, réputés première démocratie de la planète, ont eu recours à des méthodes barbares sur des prisonniers présumés terroristes. Cela commence par une gifle, se poursuit par la transformation de l'homme en projectile fracassé contre un mur, et se termine en simulations de noyade, sans parler de la gamme subtile des brimades qui permettent d'humilier l'homme et, ainsi, de l'anéantir.
Mais il y a pire encore: c'est cette manière, pour d'éminents responsables d'Etat, d'utiliser le droit pour justifier l'injustifiable, d'avoir recours à l'argumentation juridique pour contrer l'évidence, et d'utiliser la lettre de l'Etat de droit pour en nier l'esprit. En d'autres termes, sous couvert d'un aimable, subtile et ô combien distingué débat juridique, ces memos conduisent à la négation même de tous nos principes démocratiques et de l'humanité la plus élémentaire.
Le débat sur la torture se focalise toujours autour de la même question, à la réponse en apparence évidente: n'est-il pas acceptable, et même nécessaire, qu'une démocratie soit autorisée à torturer un coupable si cela permet de préserver des vies innoncentes ? Si la torture permet d'obtenir des informations qui peuvent sauver des vies, ne faut-il pas permettre un recours encadré à ces pratiques, dans des circonstances d'exception ? C'est le scénario théorique de la "bombe à retardement": une bombe est prête à exploser, on a "sous la main" un terroriste qui sait où elle se trouve, voire comment la désamorcer, peut-on le torturer ou doit-on respecter ses droits de l'homme et, du coup, accepter des centaines de morts ?
Sauf que, comme le démontre Michel Terestchenko dans un passionnant ouvrage intitulé, de manière provocatrice, Du bon usage de la torture (et sous-titré "ou comment les démocraties justifient l'injustifiable"), ce débat est tronqué. Pour une raison simple: dans la réalité, il ne se pose jamais comme cela. D'abord, parce que la douleur infligée par la torture conduit à faire avouer n'importe quoi, et d'abord ce que le tortionnaire veut entendre, pour que l'horreur de la torture cesse. Ensuite, de manière inversée, parce que les plus convaincus et les plus fanatisés des terroristes préféreront toujours mourir que de donner la moindre information utile.
La torture, moralement scandaleuse, est donc aussi concrètement inefficace. C'est une réalité qu'il faut rappeler sans relâche, à l'heure où la menace terroriste "justifie" des atteintes toujours accrues aux libertés publiques.
Reste un dernier argument, qui rappelle un argument soulevé en faveur de la peine de mort: pourquoi épargner des monstres qui, eux, méprisent nos vies ? Argument qui appelle l'affirmation d'un second principe: oui, les terroristes sont des criminels odieux, qui doivent être jugés et punis sévèrement; oui, les démocraties doivent se protéger contre les attaques et les menaces qui les frappent; oui, elles ont le droit de mettre en oeuvre les moyens de leur propre défense. Mais, plutôt que d'avoir recours à des instruments qui, en plus de leur faire perdre leur âme en niant leurs principes fondateurs, sont dépourvus d'efficacité, elles doivent miser sur des outils efficaces: le renseignement, notamment le renseignement humain; l'infiltration des groupes et mouvances terroristes; la coopération entre services secrets à l'international. Et, à plus long terme, le développement, car s'il n'existe pas de lien automatique entre pauvreté et terrorisme, il n'en est pas moins vrai que la misère et le désespoir constituent un terreau propice à son éclosion.
Ainsi, loin d'être, comme on l'entend trop souvent, une lubie pour les âmes généreuses des beaux quartiers, la dénonciation de la torture est bien un combat d'avenir. Un combat pour l'humanité, car le refus de la torture constitue, tout comme l'abolition de la peine de mort, une bonne mesure de notre degré de civilisation.
On y lit, d'abord, la confirmation de ce que l'on savait déjà: les Etats-Unis, réputés première démocratie de la planète, ont eu recours à des méthodes barbares sur des prisonniers présumés terroristes. Cela commence par une gifle, se poursuit par la transformation de l'homme en projectile fracassé contre un mur, et se termine en simulations de noyade, sans parler de la gamme subtile des brimades qui permettent d'humilier l'homme et, ainsi, de l'anéantir.
Mais il y a pire encore: c'est cette manière, pour d'éminents responsables d'Etat, d'utiliser le droit pour justifier l'injustifiable, d'avoir recours à l'argumentation juridique pour contrer l'évidence, et d'utiliser la lettre de l'Etat de droit pour en nier l'esprit. En d'autres termes, sous couvert d'un aimable, subtile et ô combien distingué débat juridique, ces memos conduisent à la négation même de tous nos principes démocratiques et de l'humanité la plus élémentaire.
Le débat sur la torture se focalise toujours autour de la même question, à la réponse en apparence évidente: n'est-il pas acceptable, et même nécessaire, qu'une démocratie soit autorisée à torturer un coupable si cela permet de préserver des vies innoncentes ? Si la torture permet d'obtenir des informations qui peuvent sauver des vies, ne faut-il pas permettre un recours encadré à ces pratiques, dans des circonstances d'exception ? C'est le scénario théorique de la "bombe à retardement": une bombe est prête à exploser, on a "sous la main" un terroriste qui sait où elle se trouve, voire comment la désamorcer, peut-on le torturer ou doit-on respecter ses droits de l'homme et, du coup, accepter des centaines de morts ?
Sauf que, comme le démontre Michel Terestchenko dans un passionnant ouvrage intitulé, de manière provocatrice, Du bon usage de la torture (et sous-titré "ou comment les démocraties justifient l'injustifiable"), ce débat est tronqué. Pour une raison simple: dans la réalité, il ne se pose jamais comme cela. D'abord, parce que la douleur infligée par la torture conduit à faire avouer n'importe quoi, et d'abord ce que le tortionnaire veut entendre, pour que l'horreur de la torture cesse. Ensuite, de manière inversée, parce que les plus convaincus et les plus fanatisés des terroristes préféreront toujours mourir que de donner la moindre information utile.
La torture, moralement scandaleuse, est donc aussi concrètement inefficace. C'est une réalité qu'il faut rappeler sans relâche, à l'heure où la menace terroriste "justifie" des atteintes toujours accrues aux libertés publiques.
Reste un dernier argument, qui rappelle un argument soulevé en faveur de la peine de mort: pourquoi épargner des monstres qui, eux, méprisent nos vies ? Argument qui appelle l'affirmation d'un second principe: oui, les terroristes sont des criminels odieux, qui doivent être jugés et punis sévèrement; oui, les démocraties doivent se protéger contre les attaques et les menaces qui les frappent; oui, elles ont le droit de mettre en oeuvre les moyens de leur propre défense. Mais, plutôt que d'avoir recours à des instruments qui, en plus de leur faire perdre leur âme en niant leurs principes fondateurs, sont dépourvus d'efficacité, elles doivent miser sur des outils efficaces: le renseignement, notamment le renseignement humain; l'infiltration des groupes et mouvances terroristes; la coopération entre services secrets à l'international. Et, à plus long terme, le développement, car s'il n'existe pas de lien automatique entre pauvreté et terrorisme, il n'en est pas moins vrai que la misère et le désespoir constituent un terreau propice à son éclosion.
Ainsi, loin d'être, comme on l'entend trop souvent, une lubie pour les âmes généreuses des beaux quartiers, la dénonciation de la torture est bien un combat d'avenir. Un combat pour l'humanité, car le refus de la torture constitue, tout comme l'abolition de la peine de mort, une bonne mesure de notre degré de civilisation.
Merci, je vous signale mon blog où je reviens sur la question, en particulier dans les débats qui sont menés à l'université de droit de Chicago. Tout se passe comme si la pratique de la torture était acceptée comme inévitable et que la seule question qui se pose était de l'encadrer !
http://michel-terestchenko.blogspot.com/
Bien cordialement,
Michel Terestchenko
Rédigé par : Michel Terestchenko | 27 avril 2009 à 06:41