Les dernières propositions de Nicolas Sarkozy sur la déchéance de nationalité, relayées par l'inénarrable Hortefeux, marquent un tournant politique majeur.
Il y avait eu le "péché originel" du sarkozysme, la fameuse soirée du Fouquet's qui laissait apparaître, au soir même de l'élection, la collusion entre le pouvoir d'Etat et les puissances d'argent. Il y eut, ensuite, les dérapages comportementaux et autres insultes, jetées à la face de Français qui se lèvent tôt, et par lesquels Sarkozy s'est durablement interdit d'habiter un jour la fonction présidentielle. Il y eut enfin les provocations parfois ouvertement racistes de tel ou tel ministre, parfois condamnées par la justice, jamais sanctionnées politiquement. Aujourd'hui, la réalité apparaît crûment: la lepénisation des esprits et des politiques a gagné le sommet de l'Etat.
En première analyse, la stigmatisation des gens du voyage et l'annonce de nouvaux durcissements du droit de la nationalité révèlent une évidence: inspiré par la panique, le Président de la République gouverne désormais dans l'impulsivité. Son décrochage continu dans l'opinion publique l'amène à recourir aux bonnes vieilles recettes: le gouvernement par la peur, la stigmatisation de populations entières, l'appel à la droite dure pour consolider un socle électoral en constante érosion. Mais souffler sur les braises n'a jamais permis d'éteindre l'incendie. La déchéance de nationalité réveille dans notre mémoire collective les pages sombres de notre Histoire. Elle ne suffit pas à masquer l'échec flagrant des politiques de sécurité mises en oeuvre depuis plus de huit ans maintenant, singulièrement dans les quartiers populaires. Surtout, elle n'apporte aucune réponse efficace et concrète aux problèmes d'insécurité qui, eux, sont bien réels.
Malheureusement, la cohérence profonde des propos tenus et des propositions faites saute aux yeux.
Première cohérence: le gouvernement par la peur et la fuite en avant dans les effets d'annonce, évoqués à l'instant.
Deuxième cohérence: la visée électoraliste. Sarkozy, élu grâce aux voix du FN, met aujourd'hui en application des pans entiers du programme lepéniste. En 2002, 82% des électeurs avaient dit NON à ces propositions, en votant au second tour pour Jacques Chirac. En 2007, les plus optimistes clamaient partout leur joie de voir les électeurs frontistes réintégrés dans une grande majorité de droite républicaine. En 2010, les faits sont là: le FN n'a pas disparu. Tout au contraire, Nicolas Sarkozy s'est transformé en meilleur VRP du fonds de commerce frontiste, dont il revend une à une les pires propositions. Du funeste débat sur l'identité nationale aux dérapages racistes de Brice Hortefeux pour cela condamné, en passant par la traque aux sans papiers: au fond, rien n'est anodin dans le triste film des dernières années.
Dernière cohérence, enfin: la cohérence européenne. Car l'Europe existe aujourd'hui avant tout comme une union des droites dures et souvent populistes qui, d'un bout à l'autre du vieux continent, imposent un agenda de la peur, du repli sur soi et, parfois, de la haine. C'est sans penser à mal que cette Europe-là a pu se retrouver à Vichy, où la France avait jugé bon d'organiser un sommet européen sur l'immigration, comme si les noms de villes étaient dépourvus de toute charge symbolique et de toute connotation historique..
Alors, que faire ?
1/ Bâtir une vraie politique de sécurité, en dépassant le vieux et faux débat entre prévention et répression, car toute politique de sécurité doit marcher sur ses deux jambes. Il est incontestable qu'aucun angélisme ne ramènera la tranquillité dans tous les territoires de la République. Il est tout aussi évident que l'on ne peut pas traiter des quartiers entiers comme s'ils étaient situés en Afghanistan, en y remplaçant un à un tous les services publics par des systèmes de video-surveillance (et demain, par des drones ?), en laissant le lien social se déliter, et en démantelant la présence des forces de l'ordre au point d'interdire à celles-ci toute présence efficace et durable sur le terrain et toute connaissance des réalités concrètes de tel ou tel quartier. Tout est à repenser, tout est à reconstruire dans les politiques de sécurité dont notre pays a besoin.
2/ Renouer avec un discours républicain, qui unisse les Français, tous les Français, au lieu de les opposer les uns aux autres. Un Président doit avoir, à chaque instant, le souci de la paix sociale chevillé au corps. Il doit veiller à la préservation des grands équilibres qui sous-tendent cette paix. Et il doit donner sens à une destinée commune, en insistant sur ce qui nous unit plus que sur ce qui nous divise. Les propositions provocantes - et d'ailleurs destinées uniquement à la provocation - de ces derniers jours échouent sur tous les fronts: elles sont dénuées d'efficacité, faute de s'inscrire dans la durée et de s'attaquer aux problèmes de fond; ce faisant, elles sont propices à l'amalgame, comme si les criminels ultra-violents devaient faire oublier tous ces enfants d'immigrés qui ne demandent qu'à être reconnus, dans les discours et dans les actes, comme des enfants de la République.
3/ Organiser des états généraux des banlieues. Sarkozy aime les grands débats, chiche ! Qu'il ose lancer enfin un vrai débat de fond. Les banlieues, comme d'ailleurs d'autres territoires aujourd'hui relégués, ont beaucoup à nous dire. Pour cela, encore faut-il leur donner les moyens de prendre la parole dans l'espace public. Non par le biais de débats trop officiels, canalisés par les préfets, mais par une parole plus libre, car directement issue du terrain. Pourquoi ne pas confier aux maires de banlieue, qui connaissent le terrain et y oeuvrent jour après jour, le soin d'organiser de tels débats, durant plusieurs mois et avec tous les acteurs de ces territoires ? A n'en pas douter, des propositions d'avenir en émergeraient, qui nourriraient utilement le plan Marshall pour les banlieues si souvent annoncé.
Je vous invite aussi à lire une note très complète de la fondation Terra nova sur la déchéance de nationalité.