La dernier numéro de la Revue socialiste est consacre à la social-écologie. Vous pouvez lire ci-dessous ma note de lecture de l'ouvrage L'Abondance frugale, de Jean-Baptiste de Foucauld. Vous pouvez aussi lire la réponse de Jean-Baptiste de Foucauld sur le site de la Revue socialiste.
"L'abondance frugale est un concept quiva bien à Jean-Baptiste de Foucauld,tant il est vrai qu’il n’a eu de cesse, dans savie, dans ses écrits, dans ses engagements, detracer un chemin vers une nouvelle solida-rité. La notion d’abondance frugale apparaîtpour la première fois en 1980, dans La Révolution du temps choisi, ouvrage collectif du club Échanges et projets fondé par JacquesDelors et qui est aussi l’un des lointains an-cêtres du club Convictions. Déjà, face à lacrise qui frappe les pays développés depuisla fin des Trente Glorieuses, la question de ladurabilité de notre modèle de développementéconomique est alors posée. Déjà, certainspenseurs préconisent un retour à l’essentielet à l’authentique, face à la frénésie consu-mériste qui tient lieu de sens dans les sociétésmodernes.
Trente ans plus tard, Jean-Baptiste de Foucauld adécidé de revisiter cette notion d’abondance frugale, en procédant à une nouvelle lecture de ses enjeuxà l’aune de la quintuple crise que nous traversons :crise économique, avec la faible croissance récur-rente dans de nombreux pays ; crise financière,résultat des excès de toute nature, de la financiari-sation à outrance et du détachement par rapport aumonde réel ; crise écologique, avec l’épuisement dela planète ; crise sociale, marquée par le chômageet l’exclusion ; et crise du sens, la seule finalitéaujourd’hui assignée aux hommes étant le développement économique en tant que tel, la croissancepour la croissance.Face à cela, l’ambition de Jean-Baptiste de Foucauld est immense : il s’agit d’esquisser les grandes lignesde la « réforme intellectuelle et morale dont notrepays a besoin », et de forger ainsi « l’honnête homme du XXIe siècle ». Avec une ligne direc-trice : remettre l’économie à sa place, lui donner un sens, et réhabiliter le développement dans satriple dimension matérielle, relationnelle et spirituelle.
Et des objectifs précis : d’abord, civiliser uncapitalisme aujourd’hui « ensauvagé », en bâtis-sant une vraie gouvernance mondiale, en élaborantdes normes comptables permettant de dépasser lesouci de l’instantané et la rentabilité à court terme,en fixant un écart raisonnable entre les hauts etles bas salaires, en rétablissant un impôt sur lerevenu véritablement progressif, et en réhabilitantle rôle de la puissance publique et des servicespublics, notamment en donnant un vrai contenuau « droit au réseau ». Ensuite, donner toute saplace à l’économie sociale et solidaire, notammenten renforçant le microcrédit social. La nébuleusesociale et solidaire, allant des mutuelles aux asso-ciations d’intérêt général en passant même par desbanques, mériterait des états généraux et régionauxpour faire entendre sa voix, car, pour parler avecJean-Louis Laville, le lien y est plus important quele bien et elle peut ainsi être, à bien des égards,une sorte de précurseur sur la voie de l’abondancefrugale. Mettre en œuvre, aussi, de vraies politiquesde l’emploi : d’une part, en inventant des « solida-rités nouvelles face au chômage » et en structurantla représentation des chômeurs pour leur permettrede peser dans le débat public ; d’autre part, lutter contre le mal-être au travail, et aller vers le pleinemploi de qualité à temps choisi. Enfin, inventer un nouveau modèle de développement, avec no-tamment un nouvel urbanisme et un modèle éco-nomique dans lequel, à l’image du Vélib’, l’usage etla propriété de nombreux biens sont découplés. Aupassage, Foucauld égratigne aussi quelques faussesévidences, comme cette idée de plus en plus ré-pandue selon laquelle le protectionnisme fournirait une réponse à tous les maux économiques dela période. Tirant les leçons de l’Histoire, l’auteur nous invite plutôt à revoir – de fond en comble – ledroit européen de la concurrence, pour permettrel’émergence de vrais champions européens et pé-renniser certains secteurs jugés stratégiques.Le projet d’abondance frugale, nous dit Foucauld, peut réunir une large coalition : chrétiens-démocrates, sociaux-démocrates, « écolos », libéraux-sociaux, et même la gauche de la gauchepourraient, selon lui, se retrouver autour de cettevolonté commune consistant à transformer l’éthiquedu développement durable en projet politique, etrejoindre ensemble une démarche de pacte civiquede solidarité inspiré pour l’économique, le social etle civique de ce que Nicolas Hulot a proposé pour l’environnement. Sous la plume de Jean-Baptiste deF oucauld, l’abondance frugale devient synonymed’un projet global de transformation économiqueet sociale, à la fois audacieux et pragmatique, car ancré dans une vraie connaissance des réalités con-temporaines. L’auteur remet en cause le producti-visme qui déshumanise, mais il n’est pas hostile à laproductivité. Il ne se réfugie pas dans la « décroissance », réponse trop facile à des problèmes trop complexes, et montre au contraire qu’aujourd’huicomme hier, l’innovation et le progrès technolo-gique sont les conditions nécessaires, si ce n’estsuffisantes, du progrès humain.Cet ambitieux ouvrage appelle plusieurs sériesd’interrogations et de prolongements. En premier lieu, si le pouvoir d’achat n’est certes pas une fin en soi, il n’en demeure pas moins une aspiration, etmême une nécessité, pour de nombreux citoyens,et ce jusqu’assez loin dans les classes moyennes.Aussi est-on en droit de demander à Jean-Baptistede Foucauld comment concilier ce constat d’évi-dence avec la nécessité, tout aussi incontestable,de dépasser le consumérisme et de ne pas faire laconsommation notre seul horizon. En second lieu,et dans le même souci d’éviter toute incompréhen-sion et tout anachronisme, est-il aujourd’hui cré-dible d’affirmer qu’il existe, à moyen terme, unevoie française vers le plein-emploi de qualité àtemps choisi ? Comment peut-on réellement conju-guer ses trois critères, et éviter que le plein-emploine soit pas synonyme d’emplois de mauvaisequalité ou d’horaires non choisis ? En un mot,comment mettre le plein-emploi, la qualité et letemps choisi dans une même équation, alors mêmeque la France ne parvient pas à réaliser durable-ment cet objectif depuis plusieurs décennies ? En troisième lieu, Jean-Baptiste nous invite à revisiter notre rapport à la spiritualité. C’est là l’un de sesthèmes de prédilection, auxquels il réfléchit aussiau sein d’un club,Démocratie et spiritualité. Quellearticulation peut-on imaginer entre République etspiritualité ? S’agit-il d’une simple version relookée de la laïcité qui, on ne le rappellera jamais assez,se distingue par sa neutralité absolue à l’égard descultes ? S’agit-il au contraire d’une inflexion de celle-ci ? Et peut-on penser une spiritualité pro-prement républicaine, dans laquelle la Républiqueporterait un message non seulement dans lesesprits, mais aussi, plus fortement qu’aujourd’hui,dans les cœurs, et où la République inventeraitses propres rites ? Enfin, et ce n’est pas la ques-tion la plus simple, est-il possible de faire le lienentre l’abondance frugale telle que définie par Jean-Baptiste de Foucauld et la politique du Care esquissée par Martine Aubry ? L’attention portéeà l’autre, la préférence pour l’essentiel plutôt quepour l’accessoire et le superflu, le souci du mondeet de l’humanité – autant de notions qui semblentaux fondements de ces deux démarches et qui mé-riteraient peut-être d’être croisées."
Vous pouvez télécharger le numéro complet de la Revue socialiste sur la social-écologie.
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